Le mythe de l'immortalité en Chine ancienne
Danse les temps reculé, l'idéal suprême dans la Chine ancienne n'était pas seulement de vivre longtemps, mais de parvenir à vaincre la mort elle-même. La quête de l'immortalité était une obsession profondément ancrée dans la culture, donnant naissance à une multitude de pratiques, de croyances et de récits légendaires. Cette aspiration transcendait la simple longévité et englobait à la fois des approches spirituelles et corporelles, toutes destinées à préserver le souffle vital et empêcher la déchéance du corps et de l'âme.
Les méthodes employées pour atteindre cet état étaient variées et reposaient sur deux grands axes : les disciplines spirituelles et les techniques physiques. D'un côté, les ascètes et les sages taoïstes prônaient des exercices de méditation profonde, permettant de maîtriser les énergies vitales et d'atteindre un état d'harmonie cosmique. La respiration contrôlée, appelée Qi Gong, était une pratique essentielle, permettant d'absorber l'énergie du ciel et de la terre pour nourrir l'esprit et fortifier le corps. De l'autre côté, des méthodes plus concrètes, comme des régimes alimentaires stricts, des exercices de gymnastique spécifiques et des rituels d'hygiène corporelle, étaient censées purifier l'organisme et ralentir son usure.
Par ailleurs, certaines substances naturelles, notamment des élixirs confectionnés à base de cinabre (sulfure de mercure), d'or ou de jade broyé, étaient considérées comme des remèdes miracles contre la vieillesse. Ces drogues alchimiques, préparées par des érudits et des alchimistes, étaient réputées posséder des vertus infaillibles, bien qu'elles aient souvent eu des effets délétères sur ceux les consommant.
L'idée d'un "Pays des Immortels" se retrouve dans plusieurs textes anciens, notamment dans le Chan Hai King, un ouvrage de géographie mythologique datant des IVe-IIIe siècles avant J.-C., attribué au sage Tsou Yen. Ce royaume céleste était décrit comme une contrée fabuleuse, où la mort n'existait pas et où l'abondance régnait. On y trouvait un arbre d'immortalité aux fruits magiques et une source d'eau de jouvence garantissant une existence sans fin à quiconque en buvait.
Les habitants de ce royaume, appelés Sien-jen ou "Hommes immortels", avaient un physique singulier : leur tête était allongée, leur corps était recouvert d'un fin duvet doré, et leurs bras s'étaient transformés en ailes leur permettant de voler à travers les nuages. Leur éclat lumineux témoignait de leur élévation spirituelle, et ils étaient souvent représentés chevauchant des dragons célestes, traversant les cieux dans une ascension resplendissante.
Il existait trois catégories d'immortels, selon les croyances populaires. La première regroupait ceux qui, grâce à leurs pratiques ésotériques et leur pureté intérieure, parvenaient à s'élever au ciel en pleine lumière, disparaissant de la vue des mortels dans une ascension divine. La seconde catégorie concernait ceux qui, bien que restant sur terre, vivaient dans des montagnes reculées, conservant une apparence éternellement jeune et possédant des pouvoirs surnaturels. Ils étaient capables de se rendre invisibles, de se déplacer à une vitesse extraordinaire et de communiquer avec les esprits de la nature. Enfin, la troisième catégorie rassemblait ceux qui, en apparence, subissaient la mort et l'enterrement, mais qui, en réalité, retrouvaient leur vitalité dans l'au-delà et rejoignaient secrètement la communauté des autres immortels.
Cette fascination pour l'immortalité a marqué profondément la philosophie et la spiritualité chinoises, influençant des siècles de pratiques religieuses, d'explorations médicales et d'expérimentations alchimiques. Elle continue encore aujourd'hui d'inspirer l'imaginaire et les traditions culturelles liées à la quête d'une vie prolongée et harmonieuse.
Les Huit Immortels Ivres
Les Jiu zhong ba xian, ou huit immortels ivres, sont des figures légendaires du taoïsme chinois. Ils symbolisent la sagesse et la quête de l'immortalité, chacun incarnant un aspect unique de cette aspiration. Ces personnages mythiques ont acquis leurs pouvoirs à travers des épreuves extraordinaires et des initiations divines, mêlant art martial, alchimie, méditation et autres disciplines ésotériques.
Li Tie Kuai : L'Immortel au bâton de fer
Li Tie Kuai apprit les secrets de l'immortalité de la déesse Xi Wang Mu, la reine-mère de l'Occident. Avant de partir en voyage spirituel, il confia son corps à son disciple et lui demanda de l'incinérer s'il ne revenait pas sous sept jours. Malheureusement, un décès dans la famille de son élève obligea ce dernier à s'absenter. Pensant que son maître ne reviendrait plus, il brûla son corps prématurément. Lorsqu'il revint, Li Tie Kuai ne trouva que des cendres et dut se contenter du corps d'un mendiant. Il garda cette apparence disgracieuse, accompagné de sa canne de fer et de sa gourde magique.
Zhong Li Quan : Le Maréchal Élevé aux Cieux
Zhong Li Quan était autrefois un général impérial. Lorsqu'il se retira du monde pour méditer, un mur de sa demeure s'effondra, révélant une boîte de jade renfermant des instructions pour atteindre l'immortalité. En suivant ces directives, il parvint à se détacher des entraves du monde matériel et une grue céleste descendit du ciel pour l'emporter au royaume des immortels. Depuis, il est souvent représenté portant un éventail magique capable de ranimer les morts et de transformer les pierres en or.
Lan Cai He : L'Immortelle au Chant Envoûtant
Lan Cai He était une chanteuse errante, connue pour ses habits dépareillés : un pied chaussé et l'autre nu. Dotée d'une voix enchanteresse, elle parcourait les rues en chantant des poèmes mystérieux sur la brièveté de la vie. Un jour, on la trouva ivre dans une auberge. Soudain, un nuage se forma autour d'elle, et elle disparut dans les cieux, abandonnant derrière elle sa flûte et ses vêtements.
Zhong Guo : Le Maître de la Mule Magique
Zhong Guo vivait en ermite dans les monts du Shan. Un jour, l'empereur lui ordonna de venir à la cour. Alors qu'il se trouvait devant la porte du temple de la femme jalouse, il s'effondra sans vie et son corps se décomposa rapidement. Pourtant, peu après, il réapparut en pleine santé. On dit qu'il chevauchait une mule blanche magique qu'il pouvait plier comme une feuille de papier et ranger dans un sac. Pour la faire réapparaître, il suffisait de l'asperger d'eau, et elle reprenait sa forme.
He Xian Gu : La Fée de la Longévité
He Xian Gu était une jeune femme vivant dans les monts de Nacre. Un jour, un esprit lui apparut en rêve et lui recommanda de moudre une pierre magique en poudre et d'en consommer chaque jour une pincée. Peu à peu, elle se transforma en une immortelle, n'ayant plus besoin de nourriture. Elle est souvent représentée tenant une fleur de lotus, symbole de pureté et d'éveil spirituel.
Lu Dong Bin : L'Épéiste Magicien
Lu Dong Bin rencontra un dragon céleste lui offrit une épée enchantée, lui permettant de voler dans les airs et de combattre les esprits maléfiques. Se rendant dans la capitale, Chang'an, il apprit les arts alchimiques et découvrit les secrets de l'élixir de vie. Il est vénéré comme le protecteur des lettrés et des érudits et est parfois appelé Patriarche Lu.
Han Xiang Zi : Le Musicien Céleste
Han Xiang Zi était le neveu d'un grand ministre d'État, Han Yu. Doué d'une intelligence hors du commun, il surpassa rapidement son maître. Un jour, alors qu'il se promenait dans un verger céleste, il grimpa dans un pêcher aux fruits d'immortalité. L'arbre, animé d'une puissance surnaturelle, l'éjecta violemment. Pendant sa chute, il accéda à l'illumination et devint immortel. Depuis, il joue d'une flûte dont la musique enchante la nature et attire les animaux.
Cao Guo Jiu : Le Noble Ermite
Cao Guo Jiu, frère d'un ministre impérial corrompu, renonça à sa position et se retira dans les montagnes pour mener une vie d'ascèse. Parmi les huit grottes célestes où résident les immortels, la dernière n'avait pas encore trouvé d'occupant. Les autres immortels, reconnaissant en lui une âme pure, l'invitèrent à se joindre à eux. Il est souvent représenté portant des tablettes de cour impériales, symboles de son ancien statut.
Une Légende Vivante
Les Jiu zhong ba xian sont plus que de simples figures mythologiques : ils incarnent les aspirations spirituelles et philosophiques de la Chine ancienne. Chacun représente un chemin unique vers l'illumination et l'éternité, à travers la sagesse, la discipline et la transcendance des limites humaines. Leur légende continue d'inspirer les arts, la littérature et la culture chinoise.